Les français pratiquent la consommation collaborative depuis très longtemps sans vraiment s’en rendre compte par l’autostop par exemple, mais cette consommation n’était pas encore régie par des échanges monétaires, alors qu’aujourd’hui, avec l’émergence d’Internet, les pratiques évoluent, les français peuvent mieux s’organiser entre eux pour consommer moins, mieux et surtout différemment.
Les études réalisées sur ces nouveaux modes de consommation démontrent que les personnes qui pratiques ces nouvelles formes de consommation ne sont pas des gens qui souhaitent rejeter la société de consommation, mais des gens qui se détournent des commerces traditionnels par simple désir de mieux consommer et réaliser des économies de temps, d’espace et d’argent.
Ces changements de pratique, bien que pleins de bonnes volontés, posent problème aux pouvoirs publics qui sont bien souvent démunis face aux difficultés qu’ils sont amenés à gérer, car la consommation collaborative, synonyme d’un retour à la version originelle de la consommation, au troc et à la responsabilité partagée d’un bien pour l’intérêt de tous, est encore située en dehors de l’autorité publique.
Mais ce type de consommation peut-il se dispenser encore longtemps d’un nombre minimal de règles ? Le droit qui protège le consommateur est-il opposable au consommateur qui fourni ? Quelle est la volonté de l’intermédiaire ? En l’absence de régulation est-ce que les assurances sont à la hauteur ?
C’est à travers deux tables rondes que les intervenants seront invités à répondre à ces questions.
Introdution : Carlos Trias Pinto
Président de la Commission Consultative des Mutations Industrielles au Comité Economie et Social Européen (CESE).
Nous vivons actuellement une révolution dans le monde de la consommation, nous ne sommes plus dans le simple échange d’un bien contre un autre mais dans un échange qui va au-delà, qui implique également la relation entre chaque partie et la responsabilisation de chacun. Internet permet de voir l’offre différemment. Il subsiste beaucoup d’exclusions sociales et financières mais les citoyens essaient de développer des cultures inclusives, mettant en rapport des utilisations rationnelles des produits, développant l’économie circulaire et des pratiques allant dans cette direction.
Le CESE part donc sur deux chantiers : la consommation collaborative d’une part et l’obsolescence programmée d’autre part.
A Madrid dernièrement, les grands spécialistes des nouveaux types de consommation se sont réunis pour discuter d’écoconception et de compétitivité, deux concepts qui ne paraissent, à priori, pas trop compatibles, mais que, dans un contexte européen de crise, il sera nécessaire de développer.
Le CESE et la Communauté Européenne ont bien compris la situation, c’est la crise, les citoyens ont besoin de proximité et d’économie sociale, il faut donc établir un cadre de confiance qui permettra aux citoyens des participer à l’économie. Il faut également différencier développement lucratif et nouvelle vision de la consommation en prenant en compte les obligations du secteur.
M. Trias Pinto prend pour exemple le transport avec notamment la création des véhicules de tourisme avec chauffeur (exemple de UBER). Il faut créer des garanties pour les consommateurs, mais il faut aussi continuer de différencier l’activité lucrative de l’activité non lucrative et trouver des formules qui permettront d’adapter les nouvelles initiatives à notre société. M. Trias Pinto pense qu’il est temps de créer une base de données qui rassemblerait toutes les pratiques de consommation collaborative répertoriées jusqu’à maintenant de manière à permettre des regroupements de certaines d’entre elles et leur réglementation. Il rappel à cet effet que l’émergence de ce type de consommation doit beaucoup à l’arrivée d’Internet dans les foyers des citoyens européen, et que c’est aussi grâce à Internet que les dirigeants réussiront à trouver des solutions aux problématiques qui les préoccupent.
En Espagne, The Crowd Angel (https://www.thecrowdangel.com/) est un site permettant à n’importe qui d’investir une petite somme d’argent (3000€ maximum) dans une start-up sélectionnée par la plateforme sur des critères strictes. On voit naitre de plus en plus de sites Internet de Crowdfunding, et bien que les créateurs de ces sites soient plein de bonne volonté, il est encore très difficile de réglementer toutes ces pratiques.
Les banques du temps fleurissent également un peu partout dans le monde et plus particulièrement en Espagne, le principe est assez simple : on ne paie plus en argent mais en temps, un système d’échange local (SEL) qui fonctionne aussi bien que les monnaies locales qui ont vu le jour dans plusieurs coins de la France.
Pour conclure, M. Trias Pinto souhaite que toutes ces pratiques trouvent rapidement une réglementation adéquate pour survivre.
Laurence Billot-David, directrice du pôle Etudes et Opinions à Médiaprism, intervient ensuite pour faire état des résultats du sondage « Consommer ensemble autrement » réalisé par 60 Millions de consommateurs et Mediaprism réalisée en octobre 2014.
À la question « avez vous déjà entendu parler de consommation collaborative ? », 40% ont déjà entendu parler du concept, 81% y sont favorables. Pour 77% des français, la consommation collaborative c’est reprendre le pouvoir en sortant de la société de consommation; 91% pratiquent la consommation collaborative parfois sans le savoir. Un grosse majorité adhère et pratique pour des raisons financières (78%), idéologiques (43%) ou pour le plaisir (64%) mais connait mal le cadre réglementaire. 65% estiment que la consommation collaborative est destinée à des gens comme eux, 63% ne pensent pas que ce ne soit qu’une mode, 58% pensent que c’est LE moyen de consommation du XXème siècle.
Première table ronde : périmètre et opportunités de l’économie collaborative
Participant-es :
- Rémy Gérin, directeur exécutif de la Chaire Grande Consommation de l’ESSEC,
- Jean-Louis Cabrespines, président du Conseil National des Chambres régionales de l’économie sociale (CNCRES),
- Anne De Béthencourt, vice-présidente de l’Institut de l’économie circulaire et responsable Eco-innovation de la Fondation Nicolas Hulot,
- Laure Wagner, membre de l’équipe fondatrice de Blablacar (http://www.covoiturage.fr/), à monter sur l’estrade.
M. Cabrespines rappelle que dans l’Economie Sociale et Solidaire on répare ce que la société a cassé, et qu’à cet effet, l’économie partagée doit être organisée sur un projet de société économiquement différent où celui qui produit tire des bénéfices pour sa vie et plus pour simplement gagner de l’argent. Il ne faut pas confondre l’activité et le moyen de faire l’activité. Les entreprises doivent avoir une démarche citoyenne.
Pour Mme De Béthencourt, la France est plutôt bien placée en termes d’envie de consommer autrement. L’économie mondiale est basée depuis toujours sur un système d’extraction des ressources naturelles, modèle qui atteint ses limites puisque la Terre est ronde et qu’elle n’est pas infinie. Il faut donc donner de la valeur aux produits en réfléchissant à l’usage que l’on souhaite en faire, il ne s’agit pas seulement de recyclage, il s’agit d’une reproduction de la nature. Et pour répondre à la question posée un peu plus tôt dans la matinée, est-ce que ça remet en cause le modèle économique ? Mme De Béthencourt n’en est pas si sûre…
Qu’appelle-t-on économie collaborative aujourd’hui ?
Le consomateur veut être acteur, il parvient à démontrer au quotidien que le PIB n’est qu’un indicateur financier et plus du tout un indicateur de richesse.
Mme Wagner raconte la genèse de Blablacar. Il s’agissait d’optimiser le gaspillage. Avec l’émergence de l’automobile dans les années 50 et le pétrole pas cher pendant toutes ces années, les propriétaires d’automobile ne se posaient pas vraiment la question de l’économie d’énergie et des places libres dans leur auto. Puis la crise est arrivée, le prix du pétrole a beaucoup augmenté, tout le monde a sa propre voiture mais plus vraiment les moyens de l’utiliser aussi souvent qu’avant, il a fallu penser différemment, faire des économies, optimiser les places libres pour un trajet donné. Il ne s’agissait pas d’une revanche contre les tarifs élevés du TGV, mais simplement d’une nécessité, d’un besoin qui a vu le jour à une certaine période.
Utiliser Blablacar est assez simple, il suffit de s’inscrire donc de créer son profil, et de choisir ou de proposer un trajet à une date donnée. Le choix se fait en fonction des dates mais aussi des avis sur les conducteurs. Utiliser ces sites de consommation collaborative implique également que l’on accepte de se faire juger par nos pairs, ce qui n’est pas toujours évident, mais implique également une modération obligatoire et un minimum de règles à respecter par tous pour éviter les dérives.
L’ESS c’est l’économie du lien social. Une même activité peut être menée par une entreprise capitaliste ou une entreprise en ESS, car l’ESS n’est pas une entreprise sans moyen, c’est une entreprise dont l’objet est différent : ce n’est plus de faire du capital mais de faire vivre ses employés.
Par ailleurs, le problème du transport pose d’autres problème, notamment celui de la société à deux vitesses divisée entre le rural et l’urbain. Il y a une vraie interrogation à avoir sur l’organisation des entreprises en fonction des territoires. Le lien est fait avec les AMAP. M. Cabrespines témoigne faire partie d’une AMAP, association dans laquelle chaque membre est invité à participer, à collaborer en donnant un peu de son temps, et il a fait le douloureux constat que sur les 50 membres qui composaient l’AMAP, 46 étaient de simples consommateurs. Comment donc, après ce triste constat, former les gens pour qu’ils deviennent de vrais citoyens ? Pour qu’ils modifient leurs pratiques en profondeur ?
2e table ronde : impacts et risques juridiques de la consommation collaborative
Dominique Allaume-Bobe, vice-présidente de l’Union des Associations Familiales (UNAF) en charge du dossier Développement durable, ouvre la table ronde en apportant le point de vue d’une association de consommateurs. Les gens se prêtent leurs objets dans un climat de confiance et pour le moment aucune plainte n’a été déposée auprès de l’UNAF. Quant au financement participatif, les gens s’interrogent mais ça ne va rarement plus loin.
Sabine Bernheim-Desvaux, maître de conférence HDR de droit privé et vice-doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Angers, propose ensuite une approche juridique en termes de responsabilités. Elle rappelle, par plusieurs exemples concrets, que le droit de consommation ne s’applique pas entre particuliers, mais que lors d’un contrat conclu électroniquement des lois s’appliquent. Pour le moment il n’existe aucun texte, le juriste se base sur l’existant en fonction des cas.
Charles Le Corroller, juriste pour l’Institut national des consommateurs, pose enfin plusieurs question à Patrick Vrignaud, responsable de la Division Garanties, processus et règles sinistres de la Direction Technique Assurance à la MAIF.
M. Vrignaud est très soucieux de la confiance du consommateur en l’assureur. En l’absence de règlementation, c’est aujourd’hui à l’assurance de prendre les devants et de proposer aux clients consommateurs collaboratifs des solutions qui leur permettent de consommer collaboratifs sans risque. C’est tout un travail qu’il est temps en effet de réglementer avant que de gros problèmes ne se produisent.
Carole Aubert, professeur de droit à l’Université de Cergy-Pontoise et secrétaire générale du réseau Trans Europe Experts, est invitée à conclure la matinée par M. Gérin.
La consommation collaborative est un nouveau mode de consommation qui fait partie des dix idées qui changent le monde d’après Time Magazine. C’est une nouvelle économie qui se développe via internet et qui prône le consommer mieux mais autrement.
La consommation collaborative c’est partager une expérience commune de manière conviviale, pas seulement pour le plaisir mais pour rencontrer, par solidarité. C’est aussi un partage de biens et une facilitation des accès aux biens. C’est enfin des valeurs environnementales, une manière de veiller à une consommation durable bonne pour la planète.
Nous sommes en plein milieu d’une mutation économique, les citoyens consomment sur l’usage et plus sur la propriété. La matinée ayant été largement consacrée au prisme de l’automobile, on se rend compte que la voiture, autrefois symbole d’une réussite personnelle et professionnelle, est devenue aujourd’hui un simple outil, qui coûte de l’argent, permettant d’aller d’un point à l’autre et qu’il faut rentabiliser au mieux. L’objectif premier étant aujourd’hui de trouver le moyen de réglementer, d’encadrer ces pratiques tout en conservant leurs particularités, sans les assimiler à la consommation traditionnelle.
Florie Le Vaguerèse-Marie, étudiante en licence professionnelle métiers de la gestion des associations.